1) Qu'est-ce que c'est?
2) Pourquoi l'enseigne-t-on?
3) Comment les enseigne-t-on ?
1) Qu'est-ce que c'est?
1.1) La définition la plus vraie (ou la moins fausse)
La difficulté qu'il y a à définir les Mathématiques
se trouve dans le fait que chaque fois qu'on prétend en fixer une
définition, on
exclut des gens dont il ne viendrait pas à l'esprit de penser
que ce qu'ils font n'en relève pas. De sorte que la meilleure définition
est
encore la suivante :
Les Mathématiques sont ce que font les mathématiciens ; les mathématiciens font de la recherche en Mathématiques.(1)
1.2 D'autres définitions intéressantes
Les Mathématiques sont l'art de donner le même nom à des choses différentes.(2)
Un mathématicien, c'est une machine à transformer du café en théorème. (3)
On se propose maintenant d'illustrer la définition d'Erdös sur un exemple simple.
Problème : On connaît les tables de multiplications
de 1 à 5, et on veut se servir de nos mains (qui feront office ici
du café!) pour
calculer 6 x 7.
- On baisse 1 doigt de la main gauche.
- On baisse 2 doigts de la main droite.
- On multiplie par 10 le nombre total de doigts baissés des deux
mains, que l'on ajoute au produit du nombre de doigts levés de la
main gauche par le nombre de doigts levés de la main droite.
Ce dernier nombre est le produit cherché.
Question : Pourquoi cela marche-t-il?
C'est maintenant que les Mathématiques commencent! Avec ce café,
on peut fabriquer le théorème suivant, qui répond
à la
question dans le cas général.
Théorème : Soient a et b deux entiers avec 6 <= a <= 10 et 6 <= b <= 10.
Posons :
x = a - 5
y = b - 5
t1 = 10 ( x + y )
t2 = ( 5 - x ) ( 5 - y )
Alors : t1 + t2 = ab
Démontration : (3,5)
Les Mathématiques sont un artisanat : elles sont un outil, mais en même temps la théorisation de cet outil...
2) Pourquoi les enseigne-t-on?
- Pour leur nécessité :
Les mathématiques représentent, de mon point de vue, la seule stratégie cohérente pour comprendre et désigner de manière non ambiguë la réalité matérielle extérieure.(4)
- Pour le plaisir qu'elles peuvent parfois procurer :
Tout mathématicien digne de ce nom, a
déjà connu, parfois à de rares intervalles, cet état
d'exaltation lucide où les pensées
s'enchaî nent comme par miracle... A la différence
du plaisir sexuel, celui-ci peut durer plusieurs heures, voire plusieurs
jours.Qui l'a connu en désire le renouvellement, mais est impuissant
à le provoquer. (5)
- Ou pour les deux : (5,5)
3) Comment les enseigne-t-on?
Ce serait long d'expliquer ici comment les choses ont évolué ces derniers temps.
En résumé, sous l'ère de la réforme des
"Mathématiques modernes" (fin des années 1960), on s'est
mis à confondre rigueur
mathématique (au sens explicité
aujourd'hui par René Guitart (6) ) avec
rigueur du discours mathématique, au sens de la façon
dont a été rédigé le traité de Bourbaki,
qui a inspiré (avec les travaux de J. Piaget sur la psychologie
cognitive) les réformateurs de cette époque. Un bon cours
était alors dans ces conditions, un bon... discours ; rigoureux
dans ce dernier sens.
Cette réforme, accompagnée par la création des I. R. E. M. (7) a permis de former quelques très bons mathématiciens, mais aussi beaucoup de martyrs. Elle a également un peu coupé les Mathématiques des autres disciplines scientifiques (6,5). Son échec a donné lieu à des recherches en Didactique des Mathématiques, par exemple celles de
- G. Brousseau ; (8)
- Y. Chevallard ; (9)
- R. Douady . (10)
pour n'en citer que quelques-unes.
Ces recherches sont le fondement des pédagogies actuelles qui
sollicitent une plus grande activité des élèves.
On constate que le carré de 5 est 25 ; si on ajoute 2 on trouve 27, et 27 est un cube, à savoir celui de 3. Les nombres x=5 et y=3 sont-ils les seuls entiers à vérifier cela?
C'est-à dire : peut-on trouver d'autres solutions pour l'équation : x^2+2 = y^3 en nombres entiers positifs?
La réponse donnée par Euler est : non. Il se sert de
la racine carrée de -2 pour transformer le premier membre en un
produit de facteurs.
Ensuite il y a un théorème d'arithmétique des
nombres entiers qui dit : si un nombre donné, comme le produit de
deux nombres entiers premiers entre eux (ce qui signifie qu'ils ont
pour seul diviseur commun le nombre 1) est un cube, alors c'est que les
deux nombres dont il est le produit sont eux-mêmes des cubes, au
signe près.
Il se sert de ce théorème comme s'il pouvait fonctionner
dans le cas ci-dessus. Il se trouve que cela fonctionne en effet, mais
le justifier est une paire de manches! On doit utiliser la "Théories
des entiers algébriques" dont Hilbert a fait un résumé
célèbre: le Zahlbericht. Au passage : Zahl signifie "entier"
; c'est pour cela que l'ensemble des entiers relatifs se note Z avec une
double barre.
" L'enseignement des mathématiques est meilleur que ce qu'il était il y a vingt ans. "
---> D'autres questions?
(1) W. Thurston, Médaille Fields en 1982. Remarque : http://www-history.mcs.st-and.ac.uk/ (site d'histoire des mathématiciens ó en anglais, interdisciplinarité oblige!) permettra d'en apprendre plus sur les mathématiciens cités dans cette note et les quatre suivantes. Retour au texte
(2) H. Poincaré, Retour au texte
(3) P. Erdös, mathématicien hongrois, qui énonça beaucoup de conjectures avec prix à la clé pour leur résolution. Retour au texte
(3,5) Démonstration
du Théorème : vues les notations adoptées, on peut
écrire x + y = a +b - 10. Ainsi, on a
t1 + t2 = 10 ( a + b - 10 ) + [ 5 - ( a - 5) ] [ 5 - ( b - 5 ) ]
= 10 a + 10 b - 100 + ( 10 - a ) ( 10 - b )
= 10 a + 10 b - 100 + 100 - 10 b - 10 a + ab
= ab ;
Ce qu'il fallait démontrer. Retour au texte
(4) A. Connes, Médaille Fields en 1982, lors de sa réception du prix Craaford (Décembre 2001) Retour au texte
(5) A. Weil, l'un des fondateurs du groupe Bourbaki. Retour au texte
(5,5) A. Ducrocq
et A. Warusfel, Les Mathématiques : Plaisir et Nécessité,
un parcours guidé dans l'univers des Mathématiques, Vuibert,
2000, avec des chapitres qui peuvent intéresser les collègues
de sciences expérimentales :
chap. 10 "Mathématiques et matériaux"
chap. 11 "Les sciences de la Terre : une planète en équations"
chap. 12 "Mathématiques et biologie". Retour
au texte
(6) R. Guitart, La Pulsation Mathématique : Rigueur et ambiguité, la nature de l'activité mathématique, ce dont il s'agit d'instruire, Ed. L'Harmattan, 1999. Retour au texte
(6,5) V. I. Arnold, On teaching mathematics, article qui devrait réconcilier ces autres disciplines avec les Mathématiques : je l'espère! Retour au texte
(7) Instituts de Recherche sur l'Enseignement des Mathématiques. Retour au texte
(8) G. Brousseau, Théorie des situations didactiques,La pensée sauvage, Grenoble, 1998 Retour au texte
(9) Y. Chevallard, La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné,La pensée sauvage, Grenoble, 1991 Retour au texte
(10) R. Douady, Jeux de cadres et dialectique outil/objet,Recherches en didactique des Mathématiques, vol. 7.2, 1987. Retour au texte